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vendredi 20 février 2009

Une obole inédite de Provins-Sens

L’obole (fig.1) que je vous présente aujourd’hui est extrêmement rare puisque unique : c’est une obole de Provins-Sens parvenue à ma connaissance grâce à l’amabilité d’un collectionneur privé que je remercie. Cette obole ne pèse que 0,46 g. et mesure 15 mm. Elle n'est citée dans aucun des ouvrages de référence et n’est présente ni à la Bibliothèque Nationale, ni aux Musées de Sens, ni au Musée d'Auxerre[1]. Son état de conservation rend difficile la lecture des légendes, cependant nous pouvons les décrypter de la manière suivante :

+ DRIINIS CATO, monogramme de type odonien déformé
+ SENOII[..]C[…], croix pattée dans un grenetis
Fig.1

Cette obole est identique aux deniers de Provins-Sens du trésor de Fécamp[2]. Notamment en ce qui concerne le monogramme (fig. 2) qui lui est parfaitement conservé.
Fig.2

Françoise Dumas-Dubourg le décrit ainsi : monogramme odonien déformé ; DE le long d’une haste verticale, E à gauche, X surmonté d’une croisette à droite, dans un grenetis. L’auteur date ce trésor des années 980-985, ramené à 975-980 par Jean Duplessy[3]. Nous touchons là à l’origine de ce monnayage.

Quels faits historiques ont pu contribuer à sa naissance ?
Vers 975, le comte de Blois Thibaud le Tricheur meurt. Du chef de son épouse Liégeard il était entré en possession, entre autre, du comté de Provins[4]. Dès lors, son fils Eudes de Blois en hérite ou au plus tard à la mort de sa mère en 978[5]. En 977, Rainard comte de Sens bloque l’élection à l’archevêché de son neveu Seguin[6], et lui interdit l’entrée dans la ville. Seguin excommunie le comte et interdit la province depuis le premier octobre 977 jusqu’au mercredi des cendres 978. Le comte Rainard se soumet enfin[7] et Seguin peut entrer dans Sens. En raison des ces probables origines orléanaises, Seguin serait un fidèle de Hugues Capet. Sa venue à Sens peut s’analyser comme un accroissement de l’influence robertienne[8]. Or, le duc des Francs a favorisé l’alliance avec la maison d’Anjou au détriment de la maison de Blois faisant passer celle-ci dans le camp de la royauté carolingienne.[9] Nous savons également que Rainard et Eudes étaient cousins (le père de Rainard, Fromond avait épousé une sœur de Herbert de Vermandois, grand-père d’Eudes[10]).
Il est donc fort probable que Rainard, comte de Sens, et Eudes de Blois, comte de Provins, aient fait alliance contre l’archevêque de Sens Seguin et donc contre l’autorité d’Hugues Capet. Cette alliance a du se matérialiser dans la création d’une monnaie commune aux deux villes : Sens et Provins. Rainard apportait son droit de battre monnaie (on connaît un denier[11] et une obole[12] à son nom sur lesquels il y a des croisettes évidés que l’on retrouve sur les premières monnaies communes de Provins-Sens) et Eudes une ville hors de portée de l’archevêque. Cette monnaie prendrait naissance dès les années 977-978, ce qui serait conforme à la datation du trésor de Fécamp.
Voyons maintenant quelle fut la durée d’un tel monnayage ?
Les nombreuses variétés laissent présager une assez longue période de frappe. Nous savons également qu’aux environs de l’an mil se fixe le type caractéristique dit au « peigne »[13], la trouvaille du Puy contenait une obole de ce type[14]. C’est aussi vers cette époque que sur les monnaies de Provins-Sens apparaissent les légendes dégénérées où l’on ne reconnaît plus le nom de Sens (SEEI :OMIS CIVI en place de SENONES CIVI).
En 996, Eudes de Blois décède toujours en rébellion contre les capétiens. Sa veuve Berthe épouse peu de temps après Robert Ier roi de France et lui demande sa protection pour que l’héritage passe sans encombre à ses fils[15]. Juste après la mort d’Eudes, on trouve l’archevêque Seguin à Provins présidant la cérémonie de la découverte des reliques de Saint-Ayoul en présence d’Etienne Ier de Vermandois, comte de Troyes[16]. Il est envisageable que c’est à cette époque que le monnayage commun diverge. Provins garde le droit de battre monnaie, celle-ci étant déjà bien reconnue grâce aux foires de Champagne nouvellement créées. Et Sens, utilise pour un temps le peigne provinois à l’avers avec la légende GRACIA DI TI et au revers la croix avec la légende sénonaise SENONS CIVI.

Pour conclure, nous pouvons donc dire que la naissance du monnayage commun à Sens et Provins date des années 977-978, et se termine aux alentours de l’année 996.
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[1] Victor Manifacier, « Catalogue des monnaies, méreaux, jetons et médailles de la collection Gariel au musée de la ville d’Auxerre », Auxerre, 1908.
[2] Françoise Dumas-Dubourg, « Le Trésor de Fécamp et le monnayage en Francie occidentale pendant la seconde moitié du Xe siècle », Paris, 1971, p.163-164 et pl.XI.
[3] Jean Duplessy, « Les Trésors monétaires médiévaux et modernes découverts en France, I, 751-1223 », Paris, 1985, p.62
[4] Yves Sassier, « Thibaud le Tricheur et Hugues le Grand » in « Structures du pouvoir, royauté et Res Publica (France, IXe-XIIe siècle) », Rouen, 2004, p.55
[5] H. D’Arbois de Jubainville, « Histoire des ducs et comtes de Champagne depuis le Vie siècle jusqu’à la fin du XIe », Paris, 1859, p.158
[6] Etienne Meunier, « Le sénonais au temps du changement dynastique » in Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne, Auxerre, 1987, 119e volume, p.22
[7] « Chronique de Clarius » in Abbé Duru, « Bibliothèque historique de l’Yonne », tome II, Auxerre, 1863, p.490
[8] E. Meunier, op. cit., p.22
[9] Y. Sassier, op. cit., p.60
[10] E. Meunier, op. cit., p.20
[11] Vente Inumis n°1, lot n°1393 de 25 mars 2006, (1,43 g., 22 mm)
[12] Exemplaire des Musées de Sens, (0,65 g, 15 mm)
[13] F. Dumas-Dubourg, op. cit., p.164
[14] Jean Lafaurie, « Le trésor monétaire du Puy (Haute-Loire). Contribution à l’étude de la monnaie de la fin du Xe siècle », Revue Numismatique, 1952, p.59-169, pl. III-IV
[15] Laurent Theis, « L’Avènement d’Hugues Capet », Paris, p.176
[16] H. D’Arbois de Jubainville, op. cit., p.181

vendredi 6 février 2009

Un denier médiéval auxerrois inédit ?

Le denier médiéval auxerrois ci-dessous à la légende + AVTSIODERCI à la particularité d’avoir un besant au troisième canton de la croix centrale. Mais est-ce réellement un besant ou un artefact dû au mauvais état du coin ayant servi à frapper cette monnaie ? Il est difficile de se prononcer. Jugez-en plutôt !

Avers : +AVTSIODERCI
Description de l’avers : croix en forme de rosace, dont les extrémités sont arrondies, cantonnée d’un besant au 3ème
Revers : anépigraphe
Description du revers : croix pattée à pointe (auxerroise), trois besants entre deux grenetis
Diamètre : 19,5/20,5 mm
Poids : 1,06 g

Il y a une faiblesse de frappe à 5 heure et le R possède une excroissance de métal qui plaide pour un coin fatigué. Mais si l’on observe le E, le CI ainsi que le grenetis devant le E, on s’aperçoit que la frappe est correcte. Or, c’est justement devant le E que l’on trouve le besant du troisième canton. Le problème reste entier. Reste à espérer qu’un denier identique vienne confirmer mon hypothèse.

Néanmoins, il faut noter que la forme de la croix de l’avers, en rosace, est déjà une particularité en soi. Il faut rapprocher ce denier de celui de Poey d’Avant 5888, dont un exemplaire est aujourd’hui détenu aux Musées de Sens. Voir ci-après :
Légendes et descriptions de l’avers identiques à la monnaie précédente, si ce n’est le fameux besant.
Le revers a 4 besants entre les grenetis, la croix est aussi en rosace.
Diamètre : 20 mm
Poids : 1,01 g